Éthique et philosophie nominales

Travaux d’Emmanuel Fournier hors université

Boiterie d’hypostases, borgnerie de théories, turpitude de morales, surditude de dogmatismes, clopinade d’ontologies, estropiade de conceptures… Tout un appareillage de cannes, béquilles, attelles et prothèses au service de mes évasions.

Déchargeons les noms des rôles que nous leur attribuons d’ordinaire et prêtons l’oreille à ce qu’ils ne disent que lorsqu’ils sont entre eux. En les choyant, peut-être arriverons-nous à les débarrasser des préjugés et des présupposés que nous leur faisons porter. Peut-être les noms sauront-ils nous amener vers ce qu’ils donnent à penser et à repenser, au-delà des déterminations dans lesquelles nous leur demandons si souvent d’enfermer le monde et de réduire notre ordinaire – de réduire au fond ce que nous pourrions être.

Pour expliquer la confiance que nous avons dans les noms, il suffit de se rappeler que la dénomination détermine nos habitudes rationnelles. C’est toute une infrastructure substantive qui se constitue, et c’est à partir de cet inconscient substantif que se définissent les événements de nos expériences. Mais c’est précisément contre ces entraînements que doit réagir la pensée philosophique.”

Ce texte est composé de phrases extraites de deux livres : Aventures aux Kerguelen de Rallier du Baty, et Le Nouvel Esprit scientifique de Gaston Bachelard. Avant ce tissage, les phrases ont été préparées. Presque rien. Leur structure a été conservée. Seulement, les mots « philosophie » et « infinitif » ont été substitués de ci de là à d’autres mots, afin de jouer le rôle de passeurs s’effaçant derrière ce qu’ils cherchent à ouvrir.

Comment former nos questions et quelle part d’indétermination laisser en elles sont des problèmes qui ne sont pas propres à la philosophie. Ce sont des problèmes de littérature, bien évidemment, mais aussi de mathématiques. Les mathématiciens ont compris depuis longtemps qu’en remplaçant les nombres et les figures de la réalité sensible par des variables et des images immatérielles, s’ouvraient des possibilités de raisonnement inouïes. Peut-être qu’en greffant des questionnements de littérature sur des questionnements de mathématiques, on pourra éclaircir des questionnements plus philosophiques ?

C’est ce qu’on pourra tenter en essayant de brancher des rameaux du livre de Samuel Beckett intitulé L’Innommable, sur un texte du mathématicien Jean Dieudonné, intitulé Pour l’honneur de l’esprit humain.

Voici donc, enfin, Les verbes de la jubilation, par collage de morceaux préparés extraits de deux livres : Le gai savoir de Friedrich Nietzsche, et Roland Barthes par Roland Barthes.

Il fallait seulement patienter un peu. Après l’enfer et le purgatoire, on espère que vienne, on sait que vient le paradis. À ne pas manquer. Il fallait qu’il vienne. Y aller. Mener à sa forme, cette Théorie des verbes, cette Infinitive comédie, vouée à se faire sans rien faire, à se dire sans rien dire, à jubiler de se désoler, à se désoler de se consoler, à se consoler de jubiler. À ne plus s’y retrouver.

Et après le paradis ? Que faire ? Qu’attendre de mieux ? de plus ? Que laisser venir désormais ?… C’est libérer qui est revenu. Les verbes de la libération, par collage de morceaux transposés de deux livres : Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, et Léonard et les philosophes de Paul Valéry.