Histoire et épistémologie de la médecine

Travaux de Mathieu Corteel

L’usage des grands nombres dans le domaine de la santé n’est plus un secret pour personne. Les taux de mortalité, les courbes démographiques, les moyennes nationales comme les médianes par genre, profession ou âge ordonnancent nos vies biologiques. Nous sommes pris dès la naissance dans un système de mesure de l’espérance de vie, par lequel s’évaluent continûment nos chances de perdurer. En période de crise sanitaire, lorsque la connaissance scientifique fait défaut, les nombres prennent une place encore plus grande : la statistique médicale devient le principal outil d’aide à la décision des pouvoirs publics.

Cette épistémè computationnelle a une histoire que Mathieu Corteel nous invite à découvrir. Elle trouve sa source dans l’interprétation des tables de mortalité au XVIIe siècle, et s’est transformée depuis, articulant différemment à chaque époque un état des connaissances mathématiques avec une pratique médicale et une vision politique de la santé publique.

Préfaces d’Emmanuel Fournier aux ouvrages de François Delaporte

Pourquoi ouvrir – et avec des yeux de philosophe – une anatomie des passions ? Les passions, cela nous concerne tous ! Chacun de nous n’est-il pas le mieux placé pour savoir à quoi s’en tenir à leur sujet ? Ne les ressentons-nous pas suffisamment dans nos chairs ? Et déjà, peut-on parler d’anatomie à leur égard ? Comment ce qui est de l’essence immatérielle de l’âme pourrait-il être disséqué dans le corps ?

Pas de meilleur endroit que l’évident pour cacher les mystères les plus profonds et les préjugés les plus tenaces. C’est précisément là, sous notre nez, qu’Anatomie des passions va les chercher. Dans ce livre, il est question de la constitution d’une grammaire musculaire des passions par Duchenne, ce dernier n’étant néanmoins qu’une clé au service d’une problématique inventée dans la fine peau du visage, où s’entremêlent tous les désirs.

2009 Figures de la médecineQuoi de commun entre l’histoire des débuts de la transfusion sanguine en Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et la découverte de moustiques vecteurs de parasites en Chine à la fin du XIXe siècle ? Entre la reconstitution d’un nez par lambeau cutané à Bologne à la fin du XVIe siècle et l’ouverture d’un kyste sébacé frontal au Guatemala en 1916 ? Ou entre l’examen d’un visage greffé à Amiens en 2005 et celui d’un faciès bouffi en Amérique du Sud dans les années 1930 ? Certainement pas ce que pourraient suggérer les premières analogies thématiques que l’on serait tenté de faire en rapprochant deux à deux les textes de « Figures de la médecine », mais c’est précisément du côté de cette critique de l’analogie qu’il faut chercher l’une des clés de l’unité de l’ouvrage. Des symétries, les six textes en ouvrent à profusion, et ils fourmillent d’exemples de ces pollinisations par lesquelles l’importation d’un concept ou d’une croyance dans un domaine étranger aide à y résoudre un problème. Mais appliquées aveuglément sans tenir compte des spécificités des lieux de recherche, les symétries et les analogies finissent toujours par poser plus de problèmes qu’elles n’en résolvent, et c’est avec ces problèmes induits que commence, à chaque histoire, ce qui fait le livre. Pour François Delaporte, chaque problème épistémologique comporte son mode de résolution propre et, s’il fallait trouver une unité à ces problèmes, c’est dans cette spécificité qu’il faudrait la chercher et non dans une méthode de résolution commune qu’ils pourraient abriter. Ce qui veut dire que la richesse des problèmes réside dans celle de leurs objets, mais aussi dans celle de la réalité et du lieu où ils se posent.